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gene@lillie
2 novembre 2019

Une féministe, un journal, les tours et les enfants abandonnés

Le sort dédié aux enfants abandonnés, trouvés, assistés, a fait couler des tombereaux de litres d’encre. Qu’il s’agisse des administrations en charge de la gestion de ces enfants, des politiques de compétence départementale ou des membres du gouvernement amenés à régulièrement se pencher sur la question de ces enfants et de leur prise en charge, les journalistes s’en sont également saisis.

« La Citoyenne », journal féministe lancé par Hubertine Auclert écrivaine et journaliste féministe, offre un regard intéressant sur le traitement de la problématique des enfants abandonnés, assistés. L’article est signé par la plume d’une dénommée Claire.

 

 



Madame Hubertine Auclert, Agence Rol, Wikimedia Commons, 

 

 Elle offre, au travers de plusieurs articles, son point de vue sur la réalité des traitements donnés par ses contemporains à ces enfants. Son regard de femme, sa pugnacité à recentrer la femme sur son pouvoir d’agir et son égalité devant l’homme, décentrent considérablement la sempiternelle condamnation du pouvoir masculin sur ces femmes abandonnant leur enfant.

Mieux, elle s’intéresse à la logique économique qui sous-tend, quoi qu’on puisse en dire, les décisions politiques relatives à la question ces enfants et la charge financière qu’ils induisent. Dans les extraits qui suivent, il y est question des tours d’abandon, rendus légaux et organisés dans les départements dès le début du 19ème siècle.

 

Quelques extraits :

« Nous avons démontré (...) que chaque fois que la question des Tours s’était posée aux chambres, elle avait été résolue dans le sens de leur maintien. Et cependant, l’administration continuait son œuvre souterraine, on pourrait dire ténébreuse, qui consistait à se mettre en contradiction avec le pouvoir législatif. Nous en avons conclu que la raison de la disparition successive des Tours était une raison d’économie, en l’absence de toute autre ». Faire des économies sur les vies humaines en refusant de secourir les enfants abandonnés et en les rejetant dans les rues – c’est triste ! »

En effet, dès la seconde partie du 19ème siècle, dans de nombreux départements la question des tours d’abandon est souvent soulevée et régulièrement mise en concurrence avec le coût de la prise en charge des enfants qui y sont abandonnés. Certains Préfets, comme celui du Nord, estiment que ce sont les tours d’abandon qui invitent à l’abandon des enfants des « filles-mères ». C’est que le nombre d’enfants abandonnés ne cesse de croître d’années en années, ce dès le début du 19ème siècle où on s’en inquiète fortement car cela grève considérablement le budget des départements. Rarement sont évoquées les circonstances des abandons. Il faudra attendre certaines études portant sur les enfants abandonnés pour que puisse être établie la corrélation entre pauvreté, opprobre jetée sur les mères d’enfants naturels pour que le débat puisse quelque peu se décaler et s’attacher à lier la paupérisation de toute une population à l’impossibilité d’élever dignement des enfants.

« Mais il faut se rendre compte du rôle que joue la question d’économie dans un pays qui a toujours eu un budget énorme et des législateurs impuissants à simplifier l’administration, dans un pays où mille bouches affamées ont toujours demandé de l’argent à l’État, et où le gouvernement ne se maintenait qu’à force de sinécure distribuées et de faveurs ».

Dans le département du Nord, dès 1813 sont établis des tableaux permettant de consigner le nombre d’enfants assistés, envoyés en nourrice, pris en charge, selon leur catégorie... Les conseillers départementaux s’alarment du coût représenté par ce public à la charge de la collectivité.

« (...) On rognera sur le budget de l’enfance, qui ne se plaint pas, lequel est aussi le budget de la femme indirectement, mais la femme ne compte pas davantage comme vous savez »

Rapportant les propos du Préfet de la Loire Inférieure, M. de la Ferronays : « Tranquillisez-vous, mes bons administrés, les Tours n’ont pas besoin d’argent, les enfants abandonnés n’ont pas besoin de Tours. Nous avons bien d’autres affaires plus pressantes et bien d’autres emplois meilleurs de nos fonds ».

« Nous les verrons ces raisons, et l’on jugera encore mieux combien nos gouvernants se paient facilement de mots quand ils ont l’intérêt à le faire. Devant l’effroyable mortalité des nouveau-nés que pouvaient diminuer les Tours bien organisés, ils ne s’émeuvent pas une seconde ; et on se demande pourquoi cette indifférence. »

Pour accéder aux journaux numérisés de « La Citoyenne », je vous invite à vous rendre sur le Portail des Bibliothèques Municipales Spécialisées de Paris 

Pour accéder directement au numéro dont sont extraites les citations proposées dans cet article, c’est ici 

 

 

 

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